Lecture performée de "La dent de Lumumba" avec Samy Manga
Si comme le dit Césaire « la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis », et a garanti « l’ensauvage-ment du continent » européen, alors la Belgique fut assurément un pays barbare.
Barbarie en gros, celle de la rationalité économique, des mains coupées d’hommes, de femmes et d’enfants dans les villages n’atteignant pas leurs quotas de caoutchouc ou pour s’assurer que chaque balle tirée par les forces coloniales le fut pour tuer des indigènes. Barbarie sophistiquée de l’élaboration d’un racisme délirant, patiemment inculqué par les missionnaires et dont on connaît les conséquences génocidaires au Rwanda. Barbarie de détail aussi, celle des mille et un sévices quotidiens commis par les colons drapés dans leur blanche immunité.
Le 20 juin 2022, la Belgique restituait à sa famille ce qu’il restait du corps du leader indépendantiste Patrice Lumumba, assassiné par elle 60 ans plus tôt: une dent en or, arrachée comme trophée par un soudard belge avant de faire disparaître le cadavre dans de l’acide. Moins de 2 semaines plus tôt, le 08 juin, le Roi Philippe de Belgique en visite officielle à Kinshasa avait exprimé « ses sincères regrets ». Pas des excuses. Ses regrets. Que faire des regrets d’un roi barbare ?
Dans son livre publié par les éditions météores, le poète et militant camerounais Samy Manga suggère une piste. Il se propose « d’organiser publiquement son procès colonial ». De refuser la contrition crispée d’une Belgique uniquement prête à reconnaître les crimes de la colonisation à condition d’en être blanchie. Et ce n’est pas tendre. S’adressant au monarque, il annonce : « Je vous aurai rasé le crâne, bandé les yeux, brisé les rotules, arrachés 7 dents de mâchoire, aurais mis vos têtes à vil prix chez un sniper aguerri ».
« Philipe, petit Philipe de Paola Ruffo di Calabria, ce dimanche 12 juin 2022 à Bukavu, moi soldat démocratique du tambour initiatique, je vous aurai rappelé qu’il ne faut jamais renouer avec un bourreau quelle que soit la valeur cosmétique de ses intentions révélées, pour cela et pour 80 années de sombre occupation territoriale, j’aurais exclusivement ordonné à la reine belge Mathilde d’Udekem d’Acoz de fermer sa gueule à l’hôpital de Panzi, et j’aurai empêché le prix Nobel Denis Mukwege de tendre la main de la trahison impériale, d’évoquer une quelconque amitié utopique entre la Belgique colonialiste et le Congo profondément meurtri. »
Que faire des regrets d’un roi barbare ? Les ignorer et lui cracher à la gueule. C’est sûrement pour le mieux.
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La préface des sociologues Véronique Clette-Gakuba et David Jamar, elle, revient sur les différentes manifestations du désir de l’Etat belge et de ses institutions à « tourner la page » et sur l’importance de chercher des manières de résister aux ruses des récits de pacifications de l’État belge.
Écrivain, musicien et militant écologiste camerounais, Samy Manga est le fondateur de l’association des Écopoètes International et directeur artistique de l’espace culturel ArtViv-Projet de Lausanne. Il a récemment publié Chocolaté, le goût amer de la culture du cacao aux éditions Écosociété. Il a reçu le Grand Prix Poésie Africaine d’Expression Française en 2021.